samedi 28 novembre 2015

Impressionnisme et expressionnisme sculptural dans l'oeuvre de Joseph Francis Sumegne


En 1874 en France, et plus tard en 1905 en Allemagne, sont respectivement apparus des mouvements artistiques picturaux : l’impressionnisme et l’expressionnisme. Chacun défendant ses idées, l’impressionnisme celle de traduire la nature dans la beauté perçue au regard, et l’expressionisme dans la mise en avant de l’expression des sentiments de de la vie par rapport aux réalités du temps. Chacune de ces idées était soutenue plastiquement dans le choix des matériaux et leur traitement ainsi que celui des sujets. Ce qui me frappe dans le premier c’est la couleur qui est l’élément esthétique plus utilisé pour soutenir l’idée force. Elle est explorée de différentes manières. C’est à travers elle qu’on crée des volumes et des formes. Dans le second, ce qui attire mon attention, c’est la question de la touche, la trace, du geste de l’artiste qui reste très visible dans l’œuvre fruit de l’action elle-même de l’artiste. Les deux caractéristiques que je viens d’énumérer, je les ai retrouvées dans le travail d’un artiste qui a été reçu après une visite que j‘ai faite dans son atelier, à Rencontre. Sans vouloir le classer dans l’un de ces courants, ce qui serait ma foi insignifiant car les contextes, les délimitations temporelles et idéologies sont différents, ainsi que le propos même et la touche de l’artiste. Ce que je trouve intéressant c’est l’utilisation de ces critères dans le travail de cet artiste. Critère que j’ai ressorti après observation de son travail, rencontré à plusieurs de ses expositions dans différents espaces artistique, après ma rencontre avec le terrain artistique camerounais et dans les différentes discussions avec lui. Joseph Francis Sumegne, le père de la Nouvelle Liberté.
Rencontre avec l’artiste Joseph Francis Sumegne. Rencontre avec le petit garçon qui a grandi aux cotés de sa grand-mère, son premier professeur de dessin à Bamendjou, dans la région de l’Ouest Cameroun, dans les années 1950.
Rencontre avec le petit garçon grandissant son intérêt pour le dessin, par la reproduction de bandes dessinées, dans la boutique de son grand frère, à Bafoussam à ses heures perdues.
Rencontre avec le jeune homme qui décide d’apprendre l’art dans les ateliers des peintres publicistes Feuta François, Dikanda Georges et de bien d’autres encore.
Rencontre avec l’homme désireux d’apprendre, choqué du traitement que lui allouaient ses différents maîtres en l’empêchant de connaître, d’observer même pour mettre à son tour en pratique. Le choc le poussant à l’effort, il ne s’arrête pour autant pas et continue d’aller à la rencontre d’autres univers jusqu’à sa ‘Rencontre’ avec celui pour qui il se revendique jusqu’aujourd’hui élève, Maître Martin Abessolo. Une rencontre qu’il ne manque de citer car elle lui a permis de découvrir le monde artistique, par sa participation à la 3ème biennale du Livre africain, sa première exposition aux cotés de son maître.
« Le laid peut être beau mais le joli jamais », citation de Martin Abessolo qui le guide jusqu’aujourd’hui et qui a participé à la construction de sa démarche artistique le JALA’A dévoilé pour la première fois dans une exposition individuelle dans les années 1990, à l’Institut Français. Une exposition qui suit le « Premier pas », exposition au Centre Culturel Américain en 1976,pendant laquelle il vendra plusieurs œuvres à hauteur de 300.500 francs CFA ; une somme qu’il n’hésite pas à donner en détail car à l’époque de très grande valeur.
Le JALA’A, terme emprunté à sa langue maternelle, le Bamendjou signifie dépassement de soi. C’est la démarche de l’artiste, une quatrième dimension dans l’art. Elle est construite autour de plusieurs formes d’art et techniques tels que le tissage, la soudure, la peinture, la tapisserie, bijouterie, vannerie, collage.Il explore ces différents médiums à des proportions égales. Ce qui rend difficile de parler avec lui de forme de prédilection. L’ensemble est donc employé dans la sculpture que certains pourraient classer dans l’assemblage. Ladite démarche est utilisée pour la réalisation de chacune de ses œuvres, qui restent toutes des pièces uniques. Sumegne donne une deuxième vie à des objets qu’il récupère, collecte, ramasse par ci par là, un vrai travail d’acquisition pour créer un musée d’objets qu’il conserve jusqu’à leur utilisation, dans une pièce telle une réserve de musée. Seul l’artiste maîtrise l’ordre de cet espace, car à première vue on dirait un fourre-tout, suggérant les premiers cabinets de curiosité d’antan. Explorant les volumes dans le vide conscient : «  le degré zéro dans l’art » dit il. Il explore les questions identitaires chez l’homme en nourrissant ses compositions  d’éléments caractéristiques se rapportant à ce dernier. Visage, coiffure et parure, habillement sont mis en exergue dans ses compositions de par leur traitement. Ils dégagent le plus d’expression. Ces outils sont traduits dans les œuvres de Sumegne dans les masques, portraits, personnages humains-plus présents- dans différentes positions et situations,  Il a fallu à l’artiste beaucoup d’endurance pour aboutir  à ce travail connu de lui aujourd’hui. L’artiste est aujourd’hui le maître d’une signature sculpturale riche en formes, en couleurs, en techniques et en dimensions.
La Nouvelle Liberté, sculpture monumentale de 12 mètres de haut, fruit d’une résidence de création à l’espace Doual’art, Centre d’Art Contemporain et Laboratoire de recherches urbaines, de 1993 à 1996, restel’imposant  élément du Rond-Point Deido à Douala. Elle reste l’œuvre qui fait entrer l’artiste dans l’univers de grandes dimensions et celui de la grande famille artistique en tant que Maître. On suppose qu’à partir de cette œuvre que l’artiste aborde mieux la question de l’équilibre dans la posture de ses personnages n’est plus résolue par l’utilisation d’une sorte de béquille pour qu’ils tiennent debout.
1:les Neufs Notables à Doul'Art

Il utilise aussi dans sa création, des thèmes et des éléments de la tradition qu’il a connue tout petit. Rituels, sociétés secrètes, œuvres d’arts (masques, statues, mobiliers) sont des éléments qui sont traduits, pas dans leur nature propre mais transformés plastiquement.
Le Jala’a, démarche technique et philosophique a pour premier objectif la question esthétique. L’artiste poétise les couleurs, la texture, la matière, les volumes et les formes des objets de caractères différents, qu’il a amassés et choisis méticuleusement, l’un après l’autre,  dans son atelier au carrefour Elig-Effa à Yaoundé, pour réaliser des œuvres sculpturales  dotées d’un expressionnisme remarquable, captivant l’attention à première vue. «  L’art c’est l’amour, le rituel et le travail »dit-il. Il traite ses sujets en recherchant des effets de variations de lumière et de forme ce qui crée cette richesse chromatique tout de suite visible dans son travail. Les effets de volumes, d’ombres sont suggérés par ce traitement. Le dessin n’étant pas ici le motif principal de la création. C’est ainsi qu’il pourrait passer des années à la réalisation d’une seule œuvre qu’il peut considérer après un résultat visible, satisfaisant le regard de l’observateur, comme étant inachevée. L’œuvre les neuf notables en est l’exemple. Installation de neuf personnages disposés en cercle vêtus d’étoffes colorées,dans des drapés significatifs, comme s’ils se rendaient à une cérémonie. Au centre un foyer. Chacun des personnages, différents des autres, au niveau du faciès dégageant une expression unique. L’artiste a traité chacune des sculptures soigneusement en leur donnant des postures différentes pour accentuer le caractère singulier des personnages.
2: Visage d'un personnage de l'oeuvre Les Neuf Notables
Il évoque ici le groupe des neuf personnes garantes de l’ordre dans la communauté, qui tempèrent les pouvoirs du chef traditionnel chez les peuples des Grassland. Il utilise cette figure pour parler de la disparition de la tradition et de sa dévalorisation dans nos cultures originaires. Malgré les différentes présences de cette œuvre à divers évènements tels Dak’Art en 2004, une exposition individuelle à Doul’art en 2005, le SUD (Salon Urbain de Douala) de 2007, le maitre continue jusqu’aujourd’hui sa réalisation.
Joseph Francis Sumegne raconte ainsi de belles histoires, histoires du médium pluriel, traduisant d’une si belle manière le fond intérieur de l’artiste penseur qui intrigue même par les titres de ses œuvres : Si la terre pouvait parler ;les vierges dans l’étau ; l’enfant perdu,  quelques une de ses premières œuvres en tapisserie au début des années 1970.
L’artiste n’est pas un donneur de leçon mais il fait attention à tout ce qui l’entoure comme personnes, sujets, discussions et évènements. Cette attention se fait d’ailleurs ressentir dans la facture de ses œuvres. La question du matériel, du palpable, du conservable, du perdurable est phare pour l’artiste. Cette question se ressent de par la vie qu’il donne aux objets déjà utilisés qui ont été jetés, de par le temps qu’il prend pour chacune de ses réalisations et même son point de vue en ce qui concerne l’art contemporain dans la vision vulgarisée aujourd’hui comme culture de l’immatérialité, du concept, vulgarisant une réalité non tangible. Cette idée reste réfutée par l’artiste qui parfois se refuse le titre d’artiste contemporain et préfère l’appellation artiste tout simplement.
Bien qu’effacé de la scène depuis plus d’un an, à travers expositions individuelles, il reste une personne importante de la scène artistique camerounaise. Il est pour l’instant l’un des rares artistes qui a définie toute une signature artistique sculpturale qui porte un nom et un traité philosophique. Il reste aujourd’hui réticent à accueillir des élèves dans son atelier car pense-t-il, c’est à chacun de creuser et trouver sa propre voie. Sumegne reste tout de même accueillant face aux différentes visites qu’il reçoit dans son atelier où il est présent chaque jour.
Rencontre avec Joseph Francis Sumegne le 05 Juin, au FIIAA à Shel Nsimeyong a été une superbe opportunité pour le public présent. L’artiste s’est livré comme jamais et a ouvert comme un livre tous les pans de sa vie. Lui, l’homme, l’artiste,de sa naissance à aujourd’hui, dans un naturel et une humilité si remarquable qui plongea l’assistance dans un voyage méditatif à la compréhension de son travail en profondeur.



                                                                                    Aude Christel MGBA